Avec l’association Amizero, nous souhaitions accompagner des femmes en situation de précarité afin qu’elles puissent s’occuper de leurs enfants tout en accomplissant leurs devoirs de citoyennes. Si tu es pauvre, si tu n’as pas d’habit, on ne te donnera pas la parole ; les gens ne reconnaîtront pas ta valeur, ta capacité à apporter des idées. Je suis toujours surprise de voir des femmes s’inscrire dans cette fatalité et ne pas agir, comme si elles attendaient la mort. Les femmes qui nous entouraient étaient désespérées tant par leur condition que par le traumatisme laissé par le génocide des Tutsi de 1994. Il fallait d’abord leur redonner goût à la vie. À travers un projet, nous voulions qu’elles prennent conscience qu’elles étaient avant tout actrices de leur vie et qu’elles avaient des choses à dire et à apporter. Nous voulions amener ces femmes à faire un pas en avant, qu’il soit petit ou grand. Il est nécessaire, pour sortir de la misère, d’avoir un idéal, de se projeter dans l’avenir. On dit chez nous : «Quand la montagne ne vient pas vers vous, vous devez aller à la montagne». Mon travail a consisté notamment à dire à ces femmes qu’elles pouvaient accomplir des choses, si elles en avaient la volonté. Ensuite, on aime dire que les femmes doivent pouvoir toucher de l’argent; acquérir un pouvoir d’achat leur permet de faire encore un pas vers plus de dignité. Nous avons débuté nos activités de création d’emploi en 2001. J’étais alors engagée pour accompagner un groupe de 77 femmes. Il y avait des filles-mères, des femmes atteintes du SIDA, des femmes abandonnées par leur mari,… Elles avaient en commun de se trouver dans une grande précarité tant financière que psychologique. Nous cherchions donc à ce que les femmes développent une activité qui ne requiert pas beaucoup de matériel. Il fallait aussi que leur analphabétisme ne constitue pas un obstacle. Enfin, nous étions également attentifs à insuffler une solidarité entre les femmes plus faibles et les plus fortes. À l’époque, la décharge de Kigali se trouvait à 22 km du centre-ville. Les familles plus riches n’avaient pas de problèmes à payer une camionnette qui vienne emporter leurs déchets. Mais les familles moins aisées jetaient leurs détritus n’importe où. Ce qui avait pour conséquences de polluer les eaux, de boucher les canalisations, d’attirer les chiens et les rats et de développer des maladies. Nous avons décidé de nous attaquer à ce problème en nous lançant dans le ramassage, le tri, le séchage et le transport des déchets ménagers. Les femmes ont commencé par le porte à porte. Je les retrouvais parfois découragées. Le travail n’était pas très valorisant: au début, elles portaient les déchets dans un sac sur leur tête et le jus coulait sur leurs cheveux, leurs habits. On les appelait “les femmes aux déchets”. Je les poussais à prendre du recul, à ne pas s’arrêter au mépris et à se concentrer sur leur objectif: leur salaire à la fin du mois. Nous avons alors commencé la sensibilisation dans les quartiers, pour que les gens prennent conscience de la nécessité de récolter ces déchets : ces femmes jouaient un rôle important. C’est à force de persévérance que le regard des gens a changé. Au fur et à mesure, avec les rentrées d’argent, elles ont pu s’acheter des brouettes et, aujourd’hui, elles ont un camion pour faire leurs tournées. Ce sont désormais de véritables entrepreneuses et la coopérative est avant tout la leur. Elles opèrent sur un secteur composé de 3.720 ménages. Je les vois fières de s’acheter des beaux pagnes, d’avoir un compte bancaire. Elles ont même cotisé dernièrement pour un fond qui soutient les plus démunis. Par la suite, nous avons souhaité valoriser les déchets que nous avions séchés et mis de côté. Nous avons eu l’idée de les transformer en biocombustible au lieu d’utiliser du charbon de bois pour la cuisson. C’est une alternative à la coupe de bois. Aujourd’hui, nous produisons dans notre usine deux tonnes par jour de biocombustible et notre unité est faite pour être réplicable ailleurs. Ce n’est que le début mais nous rencontrons déjà des résistances ; les gens n’aiment pas le changement, malgré le fait que nos boulets sont moins chers au kg que le charbon de bois. Alors, comme pour la récolte des déchets, nous commençons la sensibilisation quartier par quartier et nous utilisons nous-même nos boulets pour déconstruire les peurs de ceux qui pensent que c’est toxique. Très souvent, on a vu des projets de développement pensés de l’extérieur : les gens arrivaient avec des 4×4, avec des grands projets et beaucoup de moyens, mais, en fin de compte, c’était «la montagne qui accouche d’une souris ». Nous avons pris le contre-pied de cette tendance et nous avons commencé avec très peu d’investissement. Mais rien qu’à regarder ces femmes qui sont debout, qui sont fières, je vois le chemin énorme que nous avons parcouru. C’est notre détermination qui a payé. Aujourd’hui, ces femmes sont leurs propres patronnes. On dit: «La main qui donne est supérieure à celle qui reçoit ». Mais, parfois, on a besoin d’un coup de pouce pour se lancer. Amizero a été ce coup de pouce et a permis de tenir pendant les moments difficiles et puis la solidarité a fait le reste. Nous ne sommes pas intervenus lorsqu’il y avait des tensions entre les femmes. Nous avons toujours eu la confiance que le groupe allait résorber cela. La confiance, c’est dans ma nature mais c’est aussi une véritable stratégie. Il faut s’adresser au meilleur dans chaque individu. Quant à moi, ces femmes m’ont apporté autre chose que la solitude. Je n’étais pas bien après le génocide. J’y ai perdu ma fille et beaucoup de personnes de ma famille. En voulant les aider, je me suis aidée, j’ai vu leur courage et ça m’a insufflé du courage. J’aime aussi le devoir bien accompli; je contribue à mon échelle, j’apporte mon humble contribution à ce que les autres ont fait. Je laisse tomber le moi égoïste, il y a d’autres personnes qui ont besoin de moi. Et puis, moi aussi, j’ai reçu beaucoup: tellement de gens ont donné de leur personne dans ce projet. C’est comme une chaine de solidarité nord-sud et sud-sud. Lorsque je rencontre des gens quelque part, j’aime donner un devoir à domicile : Posez-vous la question suivante: Qu’avez-vous fait pour les autres? Et pas seulement n’importe quels autres : qu’avez-vous fait pour les plus petits que vous ? C’est peut- être une obsession, mais pour moi, c’est important. Si ta vie est comme une boucle et qu’elle commence par toi et finit par toi, eh bien elle disparaîtra avec toi! PROPOS RECUEILLIS PAR WIVINE HYNDERICKSavoirs du Sud
Florida Mukarubuga. Regarder autrement
Florida Mukarabuga fait partie de celles qui voient la richesse là où d’autres verraient la pauvreté, la maladie, la fatalité. Elle est porteuse d’un autre développement, d’un autre regard.
C’est au cœur de l’association rwandaise Amizero et avec le soutien de nombreux partenaires et amis que Florida permet à des femmes rwandaises autrefois vulnérables de se reconstruire, de se créer une vie décente pour elles et leurs enfants pas à pas…
S’adresser au meilleur dans chaque individu
Dépasser une image misérabiliste
Proposer une alternative pour l’environnement
Poser un autre regard sur le développement
Le projet
Le projet Amizero est une association qui œuvre pour le progrès des femmes rwandaises. Fondée en 1992, elle signifie en kinyarwanda: espoir. Elle développe différentes activités pour renforcer les capacités de ces femmes en précarité. L’une de leurs activités spécifiques est l’accompagnement à la création d’emplois.
Florida Mukarubuga. Regarder autrement
Posted on 18 February 2016 in Harubuntu, n'GO Blog, Savoir du Sud, Wivine Hynderick