Né au Burkina Faso au sein d’une famille profondément enracinée dans la culture bambara, Ibrahim Traoré est très tôt initié au Komo, un culte important dans la vie religieuse des Bambaras, et à la pratique de la médecine traditionnelle – basée sur les plantes et les rituels. Après avoir enseigné au Burkina Faso, il est professeur aux Pays-Bas depuis l’an 2000. Parallèlement, il donne cours de “spiritualité Africaine” à Cimic en Belgique et à l’institut anthropologique spirituel d’Angers en France. Son aptitude à concilier tradition et modernité fait de lui un orfèvre des relations humaines et une référence sur les questions de métissages culturels. Thierry Verhelst, prêtre orthodoxe, auteur de plusieurs livres sur le sujet et longuement actif dans le domaine du développement nous dit avec sagesse que «Toute entreprise, pour fonctionner correctement, présuppose des motivations symboliques de la part de ses acteurs, un système de valeurs compatibles.» La réussite d’un projet demande donc que l’on tienne compte de la dimension culturelle et spirituelle de la société dans laquelle on l’implante et un dialogue avec ses responsables. Un simple regard même furtif sur les grands projets de développement nous montre que la plupart de ces projets sont exécutés dans les pays où la tradition est encore bien ancrée dans les esprits et le mode de vie. Des projets initiés par des personnes courageuses mais trop ambitieuses, se sont vus peu efficaces ou contre-productifs parce que l’objectif de changement était trop radical compte tenu de la dimension culturelle et spirituelle de la région. Je prends l’exemple de l’Afrique et plus particulièrement l’Afrique de l’Ouest. Bien que le christianisme et l’islam s’y soient implantés, l’Homme ouest-africain est plus ou moins attaché à sa religion d’origine l’animisme. Pour l’animiste toute création est animée d’une âme, d’une force. Cette religion est étroitement liée à la culture du respect de l’homme, de la nature, de la communauté, au culte des ancêtres et la vie organisée autour de ces différents pôles y trouve tout son sens. Les sociétés ouest-africaines ont vécu en équilibre pendant des siècles avant leur contact avec le monde arabomusulman et l’Occident. Leur vie simple trouvait son fondement dans l’animisme. De nos jours, cette religion est niée, négligée et même mal jugée par manque de compréhension et d’ouverture. Chez les Bobos, la brousse se nomme sogo. La famille qui en est responsable a un pouvoir religieux sur le sogo. Elle est en communication directe avec les esprits de la brousse et fait les rituels appropriés pour demander la fertilité de la terre, la bonne récolte et la santé des cultivateurs et de leurs familles. C’est elle qui annonce l’ouverture officielle de la chasse et des battues. Elle dirige aussi les cérémonies expiatoires quand la brousse a été offensée par la construction sur certains lieux, l’extension d’un champ sur son territoire, la coupe de certains arbres sacrés… Vu ce rôle important et respecté dans la société bobo, conduire un projet tout en oubliant les responsables religieux du sogo aura peu d’effet sur la mobilisation des villageois concernés. L’idéal pour la réussite à long terme d’un projet de développement est de constituer une équipe multiculturelle plutôt que pluridisciplinaire. Dans son fonctionnement, cette équipe tiendra compte des individus, de leur manière de voir les choses et de résoudre les problèmes. La population, sécurisée par la décision de ses chefs, se sent alors concernée, valorisée, motivée, partie prenante. C’est ce que j’appelle un développement participatif qui a le mérite d’engendrer des solutions riches et variées. Si la culture peut s’inspirer de l’intelligence de la modernité tout en conservant l’essentiel de ses valeurs et ses atouts, le peuple se retrouvera dans cette modernité. Le développement durable quant à lui est appelé à s’adapter à la culture avec laquelle il collabore. Le résultat en est alors un joli métissage avec ouverture des cœurs et des esprits.parole d’expert
La culture rime-t-elle avec développement?
Beaucoup de projets de développement sont passés à côté de leurs objectifs parce que la dimension culturelle du lieu a été négligée. C’est ainsi que j’ai vu plusieurs écoles construites dans les zones peuplées de nomades se retrouver abandonnées parce que les populations cibles s’étaient déplacées à la recherche de pâturages.
Dans certains villages, j’ai remarqué que les centres culturels étaient très peu fréquentés vu qu’ils étaient construits sur les terrains sacrés du lieu. Je peux affirmer que pour venir en aide à une communauté, il est impératif de connaître les personnes, leur organisation de vie, leur culture, leur spiritualité.
Les Bozos, maîtres du fleuve
Les Bozos appelés maîtres du fleuve vivent essentiellement au Mali. Ils détiennent le secret de l’eau et sont investis d’un pouvoir naturellement magique leur permettant de rentrer en contact direct ou non avec les dieux de l’eau. Forts de ce pouvoir, les Bozos sont en mesure de conseiller la population sur les dangers ou les effets bénéfiques du fleuve. À partir de rituels offerts aux dieux de l’eau, ils connaissent les moments propices à la bonne pêche. Il est souhaitable d’associer les Bozos dans l’exécution des projets ayant trait à l’eau. Pourquoi? Parce qu’avec leur accord, la population se sent en confiance du fait que le projet est reconnu et accepté par les dieux dont les Bozos sont les interlocuteurs directs. Pour ma part, quand je vois à quel point on peut se fier à leur expérience ancestrale et à leur rôle de responsable, je trouve qu’on passe à côté d’une mine d’or, à côté d’une richesse de connaissance importante qui pourrait être utilisée avec intelligence et ouverture. Ce manque de consultation, de rencontre et de partage d’égal à égal avec les institutions existantes entraîne un gaspillage d’énergie.
Les chefs de terre et les rituels liés à la terre
Des équipes multiculturelles pour une solution durable