Je suis la fille aînée d’une famille de 11 enfants, issue de parents cultivateurs. Bien que nous travaillions beaucoup notre terre, elle ne produisait pas suffisamment. Dans ces conditions, il arrivait qu’on ne mange pas assez à la maison et qu’on n’ait pas les moyens suffisants pour acheter nos fournitures scolaires. Durant les weekends, nous étions alors obligés de travailler la terre des voisins et de nous consacrer à nos terres uniquement pendant la semaine. Quand j’avais 13 ans, mon père a été incarcéré. C’était une injustice et, durant trois mois, personne ne nous a aidés. C’est alors, qu’un couple français est entré par miracle dans notre vie. Il a payé les honoraires de l’avocat sans nous demander de contrepartie. Après une semaine de procédure, mon père a été libéré. J’ai eu un déclic: quand je serai grande, je lutterai gratuitement contre l’injustice. Sur le terrain, j’ai entre autres constaté que les propriétaires terriens pauvres avaient besoin d’être conseillés juridiquement afin de connaitre leurs droits. Aussi, ils éprouvent énormément de difficultés lorsqu’ils font la demande d’un titre foncier. Par exemple, les agents du service des domaines n’accordent pas le même traitement aux riches et aux pauvres. Ils conseillent spontanément les plus riches, afin qu’ils aient leurs titres fonciers, alors qu’ils remettent toujours au lendemain leurs rendez-vous avec les pauvres. Cette discrimination est révoltante. L’association dispense des conseils juridiques à ces gens. En fin de compte, nous luttons ainsi contre la discrimination et le trafic d’influence. Ces personnes retrouvent une fierté car elles ne baissent plus la tête de désespoir rien qu’en pensant à ce qui les attend au service des domaines. La sensibilisation est nécessaire, à cause de la négligence des paysans. Ainsi, même quand nous les aidons à obtenir auprès du service des domaines le papier officiel après qu’ils aient payé leurs droits, ils n’en prennent pas soin et le perdent. Dans ces conditions, c’est compliqué de chercher des preuves, lorsque surviennent des différends au sujet de leurs terres car ils n’ont plus aucune trace. Nous les sensibilisons dans ce sens, car il est important qu’ils gardent précieusement ce document. Nous initions aussi des actions pour le respect des droits humains dans les écoles. Par cette sensibilisation, beaucoup d’enfants parviennent à déclarer dans telle ou telle autre situation, «l’association AVENIR a dit qu’il ne faut pas faire ça». Cela a changé la vie à la campagne et les parents nous remercient pour cette initiative. Au final, nous mettons donc à contribution les enfants qui nous aident à renforcer notre action auprès des parents. Nous faisons surtout des visites de courtoisie, qui nous permettent de prendre contact avec les autorités locales avant de mener des actions dans leurs régions. Le but étant double : nous voulons créer un climat de collaboration avec les autorités locales et les enjoindre à ne pas voir nos actions d’un mauvais œil. Il est évident qu’elles ont une véritable assise locale et que leurs voix comptent dans leurs régions. Par ces visites de courtoisie, nous sommes aussi la voix des gens pauvres auprès de ces autorités. Les gens riches ont déjà accès à elles parce qu’ils sont reconnus grâce à leur argent. Il faut aussi connaître le contexte global de la région où nous allons et vérifier la véracité des problèmes dont nous sommes informés. C’est une fierté d’aider les gens en difficulté et qui vivent à la campagne. Les paysans n’ont ni poste de radio, ni électricité. Ils n’ont donc aucun moyen de savoir ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. En me référant à mon histoire personnelle, j’y vois aussi une manière de contribuer à plus d’égalité au sein de la société malgache. Je sens encore le poids de certaines coutumes malgaches comme, par exemple, le droit d’aînesse, qui favorise l’injustice et qui va à l’encontre du respect des droits humains. D’ici à trois ans, j’ai pour objectif avec l’association d’amener au moins 50% des paysans à connaître leurs droits, tout en respectant ceux des autres. Je pourrai alors dire que nous sommes arrivés à concevoir une solution durable afin d’assurer une paix durable. 18 pères de famille d’un même village ont été incarcérés et ils ont fait plus d’un an de prison. Ce sont des casseurs de pierres, qui percevaient d’une société industrielle une rémunération journalière. Celle-ci les a poursuivis en justice pour cause de vol et a obtenu leur emprisonnement. Faute de moyens, ils n’ont pas pu prendre des avocats afin de les défendre. Notre association est intervenue. En une semaine, nous sommes parvenus à les faire libérer. Lors des audiences devant le tribunal, nous avons démontré que les accusations n’étaient pas fondées. La fierté d’Esther, c’est de montrer au quotidien aux paysans que la pauvreté n’est pas une fatalité. Par son histoire personnelle et à travers son projet, elle témoigne qu’un pauvre peut et doit réclamer que ses droits soient respectés par tous et partout. Spécifiquement aux paysans pauvres qui sont confrontés au problème du foncier, les actions de son association montrent la voie à suivre pour ne plus être victimes du non-droit. Ces paysans avaient besoin d’un repère, d’une boussole, et, par son action, Esther représente cela.Savoirs du Sud
Esther Vololona. En avant toute contre l’injustice!
À Madagascar, le problème du foncier est récurrent. Le propriétaire d’une terre depuis des lustres peut se la voir arracher du jour au lendemain. C’est contre une telle injustice que s’investit Esther Vololona.
Mon histoire
Une association pour une valeur centrale
Après mon baccalauréat, j’ai trouvé un boulot de caissière dans une congrégation religieuse. J’ai pu commencer à économiser une partie de mon salaire afin de poursuivre mes études. Quelques années plus tard, en 1996, j’ai créé l’Association Vulgarisatrice sur l’Effort Nouvellement Initié pour la Réussite (AVENIR). Au-delà de ma personne, il fallait que je m’appuie sur une telle structure pour porter suffisamment le respect des droits humains. Cette valeur est personnelle, mais elle constitue aussi le fondement de l’association: elle est au cœur de ses différentes actions. Pour moi, le problème du foncier illustre le non-respect des droits humains. Pour matérialiser réellement cette valeur, il faut combattre la discrimination et le trafic d’influence. Cette pratique est régulière, car les gens riches s’appuient sur l’argent pour brimer les pauvres en complicité avec certains agents de l’État, notamment au service des domaines. Cela entrave la recherche de la vérité, pour sauver les gens victimes de non-droit.
Un blocage résolu
D’autres actions
L’approche avec les élus locaux
En dépit des réussites
Au-delà du foncier
J’ai deux enfants : une fille et un garçon, tous deux à l’université. C’est particulièrement important pour moi que ma fille aille à l’école étant donné qu’il y a encore à Madagascar une inégalité. Dès mon plus jeune âge, mes parents nous ont tous mis sur un pied d’égalité. C’est une chose rare à la campagne. Dans la majorité des familles malgaches, ce sont les garçons qui sont favorisés. Mes parents m’ont ainsi permis d’avoir une autre vision du Vivre ensemble, que je prolonge dans ma vie de famille. C’est pourquoi mon époux et mes enfants appuient mon engagement pour les paysans. En me voyant, mes enfants prennent conscience de ce qu’ils auront à faire eux-mêmes, sans pour autant être nécessairement dans le même registre que moi.
Une histoire marquante
Esther Vololona. En avant toute contre l’injustice!
Posted on 14 January 2016 in n'GO Blog, News, Savoir du Sud, Wivine Hynderick