«Les aveugles et malvoyants font partie des gens qui sont souvent méprisés et rejetés par la société congolaise», témoigne Emerson Massa. «J’ai vécu cela. Certains placent même des pierres sur votre chemin pour faire rire les autres passants. Mais les maltraitances ne sont pas que physiques. Au niveau psychologique c’est difficile de s’entendre dire que l’on ne représente rien, que l’on est juste bon à attendre la mort. Même au sein de leur famille les aveugles sont déconsidérés. Les parents pensent qu’ils ne peuvent même pas effectuer de simples tâches ménagères. Ici, on leur montre que c’est possible.» Ici, c’est l’ONG Viens et Vois, fondée par Emerson Massa il y a bientôt dix ans. «Je voulais changer la perception de la cécité, car ceux qui en souffrent vivent dans la discrimination au quotidien. Il faut voir ce que ces personnes peuvent faire et pas ce qu’elles ne peuvent pas faire.» Le but de l’organisation est de permettre aux déficients visuels de retrouver une place dans la société. Première étape de cette insertion : l’enseignement du braille. «Pour avancer dans la vie, il faut pouvoir lire, écrire et compter. Une fois qu’ils savent le faire, ils manifestent de la joie et sont heureux d’être sortis de l’analphabétisme. C’est une première victoire. Après, on se dit qu’il faut aussi s’initier à un métier pour pouvoir être utile aux autres et générer ses propres revenus.» Pour cette raison, l’association dispense diverses formations : gérant de cabines téléphoniques, pâtisserie, techniques de maraîchage, agriculture ou encore informatique. Une offre qui s’étoffe d’années en années pour pouvoir répondre toujours mieux aux demandes des bénéficiaires. «Je fais des études de marché. Je prends un échantillon de personnes et je leur soumets un questionnaire avec des propositions de nouvelles activités mais aussi des questions sur leurs habitudes de vie. Après, on fait le dépouillement et l’analyse en équipe. Si on veut avancer dans la bonne direction, il faut pouvoir écouter.» Pour Emerson Massa rien ne semble impossible et tout est réalisable, et se réalise, par la mise en action. «Par le travail, on trouve l’indépendance, la dignité et l’autonomie. Ce constat part d’abord de ma propre expérience. Je disais à mes parents, je ne veux pas être un parasitaire. Quand j’avais 22-23 ans, je leur ai dit de ne plus rien me donner pour le petit déjeuner. Je devais moi-même trouver de quoi me payer à manger. J’ai commencé une activité de téléphonie en empruntant de l’argent à des proches. Grâce à cela, j’avais les moyens de subvenir à mes besoins et j’ai aussi pu payer la dot de mon mariage.» Beaucoup de détermination, la capacité de positiver sans cesse et un pouvoir de conviction à toute épreuve : voilà les clés de la réussite d’Emerson Massa. Ce trentenaire, aussi loin qu’il s’en souvienne, a toujours possédé ces qualités. Il les emploie maintenant au profit de ceux qui n’ont pas eu la même chance que lui. Et la tâche n’est pas mince. Le handicap est encore en bien des endroits un tabou dans la société congolaise. Par sa démarche, il démontre à qui veut bien y regarder de plus près que ceux qui ont perdu la vue, n’ont pas perdu la vie. «Les mentalités évoluent parfois difficilement. Il faut montrer aux gens que la pratique est différente de leur pensée. C’est pour cela qu’il faut passer à l’action. Il faut du concret pour changer les idées reçues.» «Quand on fait une activité à vocation sociale et humanitaire, il ne faut pas que cela reste confiné entre quatre murs. Il faut se faire connaître en communiquant et en invitant la presse. Quand j’ai lancé le projet, il n’a évidemment pas recueilli l’adhésion de tous. Certains disaient que ça allait être trop difficile. Mais ce sont là des limites de la pensée. Il faut alors beaucoup communiquer pour intéresser les médias et sensibiliser les communautés, les familles… Mais il ne suffit pas de parler de changement pour qu’il se réalise. La validité du discours ne suffit pas à garantir la vérité, il faut agir. » La communication revêt un caractère important pour amener plus de tolérance et les porteurs indispensables de cette transformation sont les aveugles eux-mêmes. «La première chose qu’il faut soigner, c’est l’aspect vestimentaire. Si vous êtes aveugle, sale et mal habillé, comment voulez-vous que les gens vous considèrent ? L’image véhiculée par la société est celle des personnes qu’elles voient dans la rue. Il faut donc aider ces personnes à reprendre courage pour leur donner la force de changer.» Pour y arriver, Emerson Massa a sa technique bien à lui. «Dans l’approche, il faut être très ouvert. Au début, il faut surtout essayer de rire avec eux en abordant des sujets qui peuvent amener de la bonne humeur. Et puis, via des histoires et des témoignages, le mental de la personne change et elle reprend la motivation nécessaire pour avancer. » Infatigable dans son engagement, Emerson Massa ne recule devant rien. Son positivisme et sa capacité a toujours aller de l’avant trouve une origine toute simple. «Quand on fait les choses avec son cœur, il est facile de se mettre en route», nous dit-il. Mais son voyage risque d’être encore long. «Quand je vois les réalisations de l’ONG, cela m’apporte un sentiment d’allégresse. Quand je vois que des gens qui ne pouvaient pas aller à l’Institut National viennent s’alphabétiser chez moi, quand je vois les gâteaux qu’ils ne faisaient pas auparavant, quand je les vois naviguer sur Internet, je suis fier… Mais l’heure n’est pas à l’autosatisfaction. Dans un pays qui compte plus de 100.000 aveugles et malvoyants, on a l’impression de ne pas avoir fait grand-chose en aidant 300 à 400 personnes. Beaucoup reste encore à faire et je crois que beaucoup sera fait. Je suis espérant ! » «Emerson est quelqu’un d’intelligent, de très fin. C’est un très bon négociateur aussi: il sait où il va et il est très clair dans ses propos. Il est le chef d’orchestre de Viens et Vois mais il est évidemment soutenu par d’autres. Ce qui me plaît le plus c’est la manière dont toute l’équipe se complète. On sent une grande joie au sein du groupe de dirigeants (presque tous aveugles ou malvoyants) et beaucoup de dynamisme. C’est extraordinaire de voir qu’avec assez peu de moyens, ils arrivent à de très bons résultats. » «Il développe toujours des idées novatrices. C’est par exemple grâce à lui que les premiers ordinateurs à reconnaissance vocale sont arrivés dans le pays. Malgré tout ce qu’il a déjà accompli, il est resté très humble et reste avec son objectif en tête. Il mûrit chaque décision pour pouvoir continuer à résoudre les problèmes liés à notre handicap. Depuis notre rencontre à l’école il y a presque trente ans, je n’ai pas cessé d’apprendre avec lui…» Naissance à Pointe-Noire Atteint de cataracte congénitale, il perd la vue suite à une opération manquée. Entame son cursus scolaire à l’Institut National d’Aveugles du Congo. Intègre un collège de voyants dont il ressortira trois ans plus tard avec le bac 2000. Démarre une activité de gérant de cabines téléphoniques. Fonde l’ONG Viens et Vois. Décroche un poste de fonctionnaire en qualité d’agent social.Portrait
Emerson Massa. “Ils ont perdu la vue mais pas la vie !”
Viens et vois! L’invitation est lancée par Emerson Massa, lui qui a perdu la vue à l’âge de cinq ans. Son message se répand dans les rues de Brazzaville où il mène un combat sans relâche pour la dignité des aveugles et des malvoyants. Alors lisez et découvrez…
Une théorie de l’action
Communication et transmission
Témoignage
Heinz Rothacher, secrétaire général de la Mission Évangélique Braille
Moukouyou Nixon, secrétaire général de Viens et vois
Le projet
Toujours en quête de nouvelles idées, Emerson Massa s’est lancé dans un projet de forage électrique dans un quartier de Brazzaville où les coupures d’eau sont fréquentes. Le forage devrait permettre d’extraire entre 15.000 et 50.000 litres par jour. L’objectif est triple : générer des revenus pour l’ONG, créer de l’emploi pour les aveugles et continuer à sensibiliser les voyants. Le financement du projet est assuré, il ne reste plus qu’à trouver un terrain. L’eau, symbole de la vie, canalise de nouveaux espoirs vers plus de tolérance.
Bio
1976
1981
1984
1996
2004
2006
Portrait. Emerson Massa
Posted on 2 November 2015 in Changement, Empowerment, n'GO Blog, News, Portrait