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Ce que vous avez pensé du débat n’GO – Stephane Heymans
ce que vous avez pensé du débat n’GO

Stephane Heymans – Directeur des opérations de Médecins du Monde (Belgique)

Récemment, nous avons organisé un débat n’GO, sur les ONG et leurs rapports avec les pays du Sud. Sujet sensible s’il en est, vous étiez nombreux au rendez-vous. Nous avons rencontré quelques-uns d’entre vous, très actifs au débat, pour creuser ensemble les sujets qui méritaient d’approfondir la réflexion. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Stephane Heymans, directeur des opérations de Médecins du Monde (Belgique). Les grandes ONG médicales étaient particulièrement chargées lors de ce débat. Dans le dossier écrit, Médecins du Monde avait également fait l’objet de critiques de la part de l’un des intervenants. Stephane Heymans répond à nos questions : Peut-on encore associer Médecins du Monde au droit d’ingérence ? Les reproches de « ghettoïsation » des ONG, telles que MdM, sont-ils légitimes ? Par ailleurs, comment envisager un partenariat avec les pays du Sud ? Quels sont les enjeux de la coopération et de l’humanitaire de demain ?

Le partenariat : une complémentarité

Le débat n’GO a longuement porté – à raison – sur la notion de partenariat, principalement développée par Philippe De Leener. Il était plus nuancé que l’un des autres intervenants, Léon Koungou, qui tenait un discours plutôt idéaliste sur la solidarité « africaine ». Pour Monsieur Koungou, nous devrions nous remettre aux réseaux de solidarité locaux, qui représenteraient un exemple à suivre, infaillible. Je pense que la question est bien plus complexe que cela. Bien sûr, je ne dis pas qu’il ne faut pas s’appuyer sur des partenaires locaux – Médecins du Monde entretient de nombreuses relations avec des partenaires dans les pays du Sud, notamment en Syrie, au Liban et dans d’autres pays – mais, ce qui est intéressant dans le partenariat, c’est la communication entre les deux partenaires. Les ONG ne doivent pas se voir comme des sources de financement et confier des sommes à d’autres qui exécuteraient les projets comme ils l’entendent, selon leurs propres norme et cadre, parce qu’ils seraient formidables. Inversement, elles ne doivent pas débarquer dans un pays du Sud et déployer des projets de façon unilatérale en pensant que les populations locales savent moins bien qu’elles. C’est dans la relation que doivent se construire les projets de coopération : ensemble, nous devons faire quelque chose d’autre, avec les contributions de chacun. La complémentarité est quelque chose d’intéressant, 1+1=3.

Humanitaire et coopération

Le débat a également pointé les ambiguïtés et les relations entre aide humanitaire et coopération au développement : les deux se confondent de plus en plus. Auparavant, l’aide humanitaire connaissait plusieurs phases : des phases d’urgence, puis des phases de stabilisation, de construction, etc. Aujourd’hui, même si les modules d’intervention diffèrent sans doute entre les ONG de la coopération et les ONG humanitaires, on peut considérer que ces dernières font aussi du développement. Si l’on se penche sur l’exemple de MSF, la chose devient évidente : une grosse partie de ses activités s’inscrivent dans le développement. Quand MSF prend en charge le VIH dans certains pays, l’ONG s’y installe pour 25 ans. Elle fait du développement. Inversement, lorsque l’on fait du développement, on peut aussi être amené à devoir traiter des situations d’urgence humanitaire, je pense notamment à la mortalité infantile qui dans certains pays dépasse les seuils de l’acceptabilité. Médecins du Monde joue en tout cas sur des logiques de développement et des logiques substitutives en fonction des contextes, des partenaires locaux présents et de la capacité de résilience des communautés.

Des questions dépassées

En revanche, je suis en désaccord avec certaines approches développées au cours du débat. Certains thèmes sont dépassés. Comme ce fameux droit d’ingérence, dont il était aussi question dans le dossier écrit, paru dans le n’GO. Depuis longtemps, Médecins du Monde s’est détaché du droit d’ingérence. L’on peut le citer pour des raisons historiques, mais il faut en finir avec ce cliché qui a la vie dure : Bernard Kouchner n’exerce plus aucune influence sur MdM et sur plus aucune ONG depuis la fin des années 1980 ! Au lieu de ressasser des histoires anciennes, qui n’ont plus d’impact sur les politiques et les projets menés aujourd’hui, focalisons-nous sur les évolutions remarquables des dernières décennies. Le monde humanitaire a beaucoup changé et il doit encore beaucoup changer pour répondre aux défis du 21ème siècle.

Il y a aussi des reproches un peu faciles, notamment au sujet de la « ghettoïsation » des ONG. On (Léon Koungou principalement) reproche aux acteurs humanitaires de vivre entre eux, de ne pas se mêler aux populations locales mais de se retrancher dans des camps. C’est en réalité le lot de la grande majorité des ONG. Très rares sont celles qui vivent véritablement parmi les populations locales. C’est un réflexe naturel, pour lequel il faut avoir de l’indulgence et de la compréhension : si je suis en Haïti, par exemple, que je travaille 7j/7, 12h par jour et que je sais que je ne suis là que pour trois mois, j’irai volontiers boire un verre avec des Belges pour me détendre. Je sais que nous buvons la même bière, que nous avons le même humour etc. C’est un réflexe de regroupement que l’on constate partout, pas seulement au Sud et pas seulement dans le secteur des ONG…On peut bien sûr le regretter mais ce n’est pas le lot que des ONG.

Les défis de demain

Pour moi, nous devrions creuser certaines questions qui se posent comme des enjeux importants au monde des ONG : quelle est la place des ONG par rapport au système public et par rapport à la prestation de service ? En étant présents et en proposant des services qui devraient être/sont normalement assurés par l’État, empêchons-nous le développement de la société civile ? Par ailleurs, quelle est notre légitimité ? Les ONG sont des structures privées qui s’auto-mandatent et qui offrent des services publics. Notre présence est-elle souhaitable ? Qui peut en juger ? Quelle doit être notre articulation avec la société civile ?

Le travail de prestation de service (humanitaire et/ou de développement) me paraît trop limitatif, une ONG doit être plus que cela….elle doit en permanence se réfléchir et se positionner dans les contextes où elle travaille.

 

 

 

 

 

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