Pauvreté et communication
Il y a pourtant matière à creuser. La manière dont le secteur communique à propos de la pauvreté et du développement pourrait bien être le plus grand défi du moment. En Irlande, le soutien à l’aide internationale reste incroyablement élevé. Malgré un taux de chômage de 13% et les emprunts réalisés pour maintenir les services publics, l’opinion publique en faveur des programmes d’aide n’a que très marginalement baissé. Dans le même temps, la position des différents partis reste fermement ancrée à nos engagements internationaux.
Certains diront que ce soutien reste très superficiel. La pensée collective reste très influencée par la tradition missionnaire et par le flux constant d’images diffusées par les grandes organisations irlandaises, mettant l’accent sur les dons charitables et non sur l’action contre les causes de la pauvreté. En bref, l’héritage du Live Aid est encore bien présent.
Mais le défi est bien plus grand que la simple amélioration de la communication entre ONG et grand public. Sous certains aspects, la coopération au développement est en train de perdre le débat sur la justice sociale mondiale.
Hans Zomer est directeur de Dóchas, la coupole des ONG irlandaises, depuis 2002. Il a développé une grande expérience dans le plaidoyer et le networking, notamment via son travail chez CONCORD. Il a également passé plusieurs années au service de Concern Worldwide, une des plus grandes ONG irlandaises. Enfin, ce diplomé en sciences politiques a vécu au Pakistan où il fut consultant et au Tchad comme coordinateur d’un programme alliant droits de l’Homme et développement rural.
Si cela n’affecte pas (encore) les dons individuels en faveur des ONG, cela a un impact sur la manière de penser des gens. De nombreuses ONG ont dépeint la pauvreté des pays en voie de développement “là-bas”, qu’il faut distinguer de la pauvreté chez nous. On remarque également une tendance, dans les communications publiques, à souligner les aspects de la pauvreté qui requièrent une solution technique, plutôt que politique, et à éviter les sujets en lien avec les processus et mécanismes qui créent et maintiennent les inégalités, l’exclusion et la marginalisation. Dans ces discours, la pauvreté est apolitique et l’aide est la solution.
Mon argument est le suivant : la pauvreté n’est pas un simple manque de biens matériels. Être pauvre c’est aussi manquer de ressources et de contrôle sur sa vie, c’est être exclu des mécanismes sociaux, économiques et politiques qui ont une influence sur sa vie.
La pauvreté est profondément politique et reflète les inégalités et les injustices. À l’opposé, le développement veut renverser ces inégalités et augmenter les choix et les opportunités disponibles pour les plus pauvres. En ce sens, la pauvreté des pays en voie de développement est intrinsèquement liée à la pauvreté (et à la richesse) des pays plus aisés.
Cela implique que les pays les plus pauvres ne doivent pas rattraper les pays développés. Le développement devrait être vu (et discuté) en termes de transformations économiques et de processus politiques. La pauvreté ne devrait plus être considérée comme un simple problème technique qui requiert un investissement financier mais comme un problème complexe à grande échelle nécessitant des solutions globales.
Il est grand temps que notre vocabulaire au sujet de la pauvreté traduise plus clairement nos métiers. Comme il est grand temps que les ONG soient plus sincères sur la complexité de leur travail. Notre code de conduite est un début, qui peut être répété dans n’importe quel pays. Pour rester pertinentes, et pour avoir un réel impact sur les problématiques gigantesques auxquelles elles s’attaquent, les ONG de développement doivent absolument accepter la nature politique de leurs actions.